Quelle est l’histoire des Korrigans ?

Korrigans : ceux qui ricanent dans l’ombre des menhirs

Il y a des bruits qu’on n’oublie pas.
Le crissement d’un pas sur des feuilles détrempées. Un chuchotement quand il n’y a personne. Un rire… trop aigu, trop bref. Comme une lame qu’on glisse dans le silence. Ce rire-là, c’est peut-être un Korrigan.

Ils sont petits. Mais pas mignons.
Ils vivent la nuit. Mais pas pour rêver.
Ils observent. Mais pas avec tendresse.

Et depuis des siècles, ils grattent aux portes du réel.


Korrigan, ça veut dire quoi au juste ?

En breton, “korr”, c’est ce qui est court.
Bref, ramassé, un peu voûté sur les bords. Ajoutez un petit suffixe affectueux ou moqueur (-ig, -an), et hop : vous obtenez un korrig-an, ou un korr-ig-an. Une créature minuscule, mais pas anodine. Loin de là.

Korrigan, ça claque comme un coup de vent dans un grenier.
C’est un mot qui sent la lande mouillée, la brume collée aux bottes, les contes racontés trop tard dans la nuit.

Et surtout… c’est un nom qu’on prononce à voix basse. Toujours. On ne sait jamais qui écoute.


Fées ? Lutins ? Diablotins ? Non. Korrigans.

Ils ne rentrent dans aucune case.
Tantôt décrits comme des nains barbus, tantôt comme de magnifiques jeunes femmes aux yeux rouges qui dansent autour des fontaines (oui, ça surprend).

Parfois hostiles, parfois juste joueurs, ils peuvent apparaître à l’aube, à minuit, dans les grottes, sur les tombes, dans les arbres creux. Bref, là où le monde tangue un peu.

Ils aiment les pierres qui chantent, les endroits que les humains évitent, les recoins où le silence change de texture.

Et quand ils dansent… le sol garde la trace. Un cercle d’herbe brûlée, comme une brûlure en spirale. On appelle ça l’anneau des Korrigans. On n’y entre pas. Jamais.


Tiens, ça me fait penser à…

…cette vieille histoire de Tréhorenteuc.
Un gars du coin – disons un meunier un peu trop curieux – aurait suivi un chant cristallin dans la forêt. Il tombe sur des petites créatures qui dansaient en rond, comme hypnotisées. Il rit. Il entre dans le cercle. Il veut danser aussi.

Erreur.

Quand il revient au village… tout a changé.
Il pense être parti dix minutes. Il s’est absenté cent ans.

Et ça, c’est classique chez les Korrigans.
Ils trafiquent le temps comme d’autres jonglent avec des cailloux.


Leur spécialité ? Vous piéger. Sans méchanceté. Ou presque.

Les Korrigans ne sont pas “méchants”.
Mais ils n’aiment pas qu’on les dérange. Ni qu’on se moque d’eux. Ni qu’on ne les respecte pas.

C’est un peu comme… des enfants très très vieux.
Capricieux. Lunatiques. Farceurs à la limite du cruel.

Un exemple ?
Ils prennent l’apparence d’un bébé abandonné dans les bois. Et si vous le ramassez sans dire une prière ? Le nourrisson devient une créature hurlante, qui vous colle à la peau, au cœur, à la vie. Impossible à quitter.

Mais bon, parfois, ils se contentent de voler une chaussure, ou de mettre du sel dans la galette. C’est selon l’humeur.


Ils adorent les fontaines… mais pas l’eau bénite

Ah oui. Il faut le dire : les Korrigans détestent les prêtres.
Et plus largement, tout ce qui sent l’église, l’encens, le latin mal prononcé.

Beaucoup de légendes parlent d’eux comme d’anciennes divinités païennes, humiliées, exilées, miniaturisées par l’arrivée du christianisme. Réduits à l’état de lutins, alors qu’ils étaient peut-être autrefois des dieux de la nature, des forces primitives, sauvages, non négociables.

Alors forcément, quand un curé s’approche d’une fontaine où ils vivent, ils se planquent… ou ils ripostent. On raconte que certains prêtres ont vu leur calice se transformer en crapaud. Pas très liturgique, mais efficace.


Odeurs de fougère, ricanements sous la lune

Si un soir de pleine lune vous sentez une odeur de fer humide, un souffle tiède derrière l’oreille, ou un ricanement trop proche… restez calme. Et ne riez pas.

Parce que les Korrigans détestent être moqués.

Ils aiment :

  • les galettes au beurre salé laissées sur un muret (oui, vraiment),
  • les objets brillants (surtout volés),
  • les chants qu’on murmure plus qu’on ne chante.

Ils détestent :

  • le fer (clous, couteaux, aiguilles),
  • les promesses non tenues,
  • qu’on leur tourne le dos après les avoir salués.

Ah, et ils ont une mémoire de marécage : ça garde tout, ça ne pardonne rien.


Et les humains dans tout ça ? Peureux… mais fascinés.

Ce qui est frappant, dans les contes bretons, c’est l’ambivalence.
Les Korrigans font peur. Et en même temps… on les adore. Comme une blessure qu’on n’arrête pas de gratter.

On leur construit des histoires, des dits, des légendes.
On les dessine sur les murs des crêperies. On leur donne des prénoms. On les imagine malins, adorables, vengeurs, tragiques, romantiques.

Parfois, ils enlèvent un enfant. Parfois, ils guérissent une vieille femme.
C’est le chaos, mais le chaos poétique.

Et surtout, ils sont là. Encore aujourd’hui. Si si.
Demandez à un ancien du Morbihan. Il vous dira qu’il en a vu un, un soir, près de la chapelle Saint-Gildas. Trop petit pour être un homme. Trop vif pour être un renard.


Korrigans et musique : une histoire d’accords et de sorts

On dit qu’ils jouent de la bombarde et du biniou mieux que quiconque.
Mais jamais quand on les regarde. C’est toujours en cachette, dans les landes, ou sous les pierres levées.

Par contre, si un musicien a la mauvaise idée de les copier ou de jouer leur air préféré sans les remercier… il peut se réveiller sans bras. Ou avec trois pieds gauches.

Tiens, ça me rappelle cette légende de Carhaix :
Un violoneux trop curieux aurait enregistré un air entendu dans les bois. Depuis, chaque fois qu’il le joue, des verres se cassent. Les chiens hurlent. Et une silhouette apparaît à sa fenêtre.

Charmant, non ?


Pourquoi on en parle encore aujourd’hui ?

Parce que les Korrigans, c’est notre part d’ombre joyeuse.
Ils sont là pour rappeler que tout ne s’explique pas. Que la nature a ses propres règles. Que la beauté peut être cruelle. Que le rire peut griffer.

Et dans un monde où tout devient lisse, rapide, digitalisé…
Les Korrigans, eux, restent râpeux, brumeux, bruyants.

Ils rappellent que la magie existe.
Pas la magie des baguettes. Non. Celle des vieilles pierres qui chuchotent. Des vents qui parlent. Des histoires qui dérangent.


Alors… on y croit ? Ou pas ?

Franchement ?
Ça n’a aucune importance. Ce qui compte, c’est que la légende respire encore.
Qu’un enfant breton, en 2025, puisse encore croire qu’un Korrigan lui a volé son goûter. Ou son ombre.

Et si, un soir, en forêt, vous entendez un ricanement…
Ne fuyez pas.
Ne riez pas non plus.
Laissez une galette. Tournez sept fois autour du menhir. Et partez.

Peut-être que vous reviendrez avec… un secret.
Ou juste un petit rire au creux de l’oreille.

Mais dans tous les cas : ne les oubliez pas.

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